jeudi 26 octobre 2017

Communication des résultats du programme HEnergES


Eléphant de mer austral, Mirounga leonina, femelle adulte (©Henerges, 2012)

 

Articles publiés (et d’autres à venir ! suivez-nous)

Chaise, L.L., Paterson, W., Laske, T.G., Gallon, S.L., McCafferty, D.J., Théry, M., Ancel, A., & Gilbert, C. (2017) Implantation of subcutaneous heart rate data loggers in southern elephant seals (Mirounga leonina). Polar Biology. doi: 10.1007/s00300-017-2144-x


Présentations (congrès scientifiques)

Toscani C., Chaise L., Bonnet B., Krellenstein A., Paterson W., Delalande L., Ancel A. & Gilbert C. (2017). Utilisation de l’habitat et déplacements à terre chez l’éléphant de mer austral (Mirounga leonina) au cours de la mue. 13èmes Journées Scientifiques du CNFRA (Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques ; Paris, France)

Bonnet B., Chaise L., Toscani C., Krellenstein A., Paterson W., Delalande L., Ancel A. & Gilbert C. (2017). Implantation sous-cutanée d'enregistreurs de fréquence cardiaque chez l'éléphant de mer austral (Mirounga leonina) lors de la mue : aspects méthodologiques. 13èmes Journées Scientifiques du CNFRA (Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques ; Paris, France)

Chaise L., Paterson W., Delalande L., Gallon S., Laske T., McCafferty D., Ancel A. & Gilbert C. (2016). Combination of heart rate, body temperature and accelerometry for behavioural study of Southern elephant seals during the moult. 12th Meeting - Ecology and Behaviour (Lyon, France)

Chaise L., Prinet I., McCafferty D., Toscani C., Gallon S., Vuarin P., Ancel A. & Gilbert C. (2015). Huddling of Southern elephant seals during their moult. 11èmes Journées Scientifiques du CNFRA (Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques ; Paris, France)

Chaise L., Prinet I., Toscani C., Gallon S., McCafferty D., Vuarin P., O’Toole M., Ancel A. & Gilbert C. (2015). Movement patterns and habitat selection of Southern elephant seals during their moult. 11th Meeting - Ecology and Behaviour (Toulouse, France)

Chaise L., Toscani C., Gallon S., McCafferty D., Ancel A. & Gilbert C. (2014). Habitat use and movement patterns of Southern elephant seals during their moult. 5th Bio-logging Science Symposium (Strasbourg, France)

Gallon S., Chaise L., McCafferty D., Toscani C., Ancel A. & Gilbert C. (2014). The moult in southern elephant seals: the cost of losing it all. 5th Bio-logging Science Symposium (Strasbourg, France)

Toscani C., Vuarin P., Chaise L., Gallon S., McCafferty D., Ancel A. & Gilbert C. (2014). Energetics of moult and huddling in Southern elephant seals. 10èmes Journées Scientifiques du CNFRA (Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques ; Paris, France)

Thèses vétérinaires soutenues

KRELLENSTEIN A (2016). Mue et thermorégulation chez les éléphants de mer austraux (Mirounga leonina). Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, France.

CHAISE L (2014). La thermorégulation sociale des éléphants de mer austraux (Mirounga leonina) en phase de mue: aspects comportementaux et physiologiques. VetAgro Sup, France.


Tampon (logo) officiel du programme IPEV 1037 HEnergES (©Henerges, 2016)

Le retour

 
Nous avons définitivement quitté Pointe Suzanne pour rentrer à la base de Port-aux-français le 29 février 2016, pour un total d’environ 6 semaines de terrain. Tous nos objectifs ont été atteints, malgré une arrivée sur le terrain plus tardive que les années précédentes (après le commencement du pic de mue des femelles mi-janvier). Nous avons pu observer le comportement d'agrégation des éléphants de mer et leur utilisation de l'habitat au cours de la mue, au niveau de la population (sur la colonie), en fonction des variations météorologiques, quotidiennement pendant une vingtaine de jours au cours du mois du pic de la mue pour les femelles adultes. Nous avons pu suivre et observer individuellement plus d’une douzaine d’éléphants de mer femelles au cours de leur mue, pour étudier leur comportement, leur physiologie et l’énergétique de la mue chez cette espèce, malgré la diminution rapide du nombre d’individus femelles adultes en mue à partir de mi-février.

Comme la prochaine rotation du Marion Dufresne II (OP1) ne passe pas à Kerguelen avant mi-avril cette année, les membres de l’équipe ont plus d’un mois d’attente sur base au cours duquel ils peuvent commencer à traiter et analyser les données récoltées, faire l’inventaire du matériel qui restera sur base ou repartira pour Paris, prêter main forte aux autres programmes scientifiques et rédiger le bilan de campagne à envoyer à l’IPEV ou encore les premiers billets d’un blog…

A partir du mois de mars, la baisse des températures se fait ressentir, annonçant l’arrivée du long hiver austral qui attend les hivernants. En effet, plusieurs mois d’hiver séparent les rotations OP1 et OP2 du navire de ravitaillement. Les derniers « campagnards d’été » (scientifiques se rendant dans les TAAF pour une campagne de terrain de courte durée, environ 2 à 6 mois, sur la période de l’été austral) quittent tous l’archipel à OP1. Seuls les « hivernants » qui ont un contrat d’un an (militaires, contractuels et volontaires du service civique) vont rester, alors moins nombreux, et occuper l’île pendant l’hiver austral, jusqu’à ce qu’ils soient relayés par leurs successeurs aux rotations d’automne OP2 à OP4. Vous pouvez les suivre sur le blog officiel du district : http://ileskerguelen.blogspot.fr/ (http://www.taaf.fr/O-Les-blogs-officiels-des-districts)

La veille de notre départ des Kerguelen, nous assistons aux premières neiges. Puis après des au revoir chaleureux (certains hivernants et campagnards ont travaillé ensemble et se sont côtoyés pendant plusieurs mois, apprenant à se connaître), annonçant le début d’un isolement plus prononcé et parfois difficile pour les hivernants, nous embarquons de nouveau sur le Marion Dufresne pour une traversée d’une quinzaine de jours. Direction : La Réunion ; escale : Amsterdam.
 


C’est en hélicoptère que le personnel est déposé sur l’île (à gauche), tandis que le matériel est acheminé par barge (à droite) (île d’Amsterdam, avril 2016 ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges).

 
L’île d’Amsterdam, ou de la Nouvelle-Amsterdam, (37° 50’ S ; 77° 31 E), avec l’île de St Paul (38° 43’ S ; 77° 31’ E), représente le district le plus récent des TAAF et bénéficie d’un climat plus clément, de type océanique, avec une absence de neige toute l’année. Les falaises de l’île hébergent de nombreux oiseaux marins tels l’albatros à bec jaune (Thalassarche chlororhynchos) ou l’albatros d’Amsterdam (Diomedea amsterdamensis), et ses eaux ou ses côtes de nombreux mammifères marins, tels l’otarie d’Amsterdam (Arctocephalus tropicalis) et des orques (Orcinus orca).

 
Base permanente Martin de Viviès (île d’Amsterdam, avril 2016 ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)

 
Une escale à la journée à la base Martin de Viviès (plus petite, occupée par une vingtaine d’hivernants) est pour nous l’occasion de s’acclimater au réchauffement accompagnant notre remontée de l’océan austral puis indien jusqu’à la Réunion, de revoir des arbres et de goûter à la fameuse langouste locale.


Les otaries à fourrure subantarctiques, ou otaries d’Amsterdam (Arctocephalus tropicalis) adultes mâles sont reconnaissables, en plus de la couleur de leur pelage brun foncé sur le dos et brun clair sur le ventre, notamment par la crête de poils qu’ils portent sur la tête (île d’Amsterdam, avril 2016 ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)

 
L’aventure se termine à notre arrivée à la Réunion début mai, puis à notre retour en avion jusqu’en France métropolitaine.

Une réunion d’équipe fin juin réunit tous les membres de l’équipe, ainsi que tous les collaborateurs du programme HEnergES pour faire le bilan du terrain passé et préparer en conséquence celui à venir (objectifs, protocole, personnel de terrain, budget, commande de matériel etc.).

mercredi 25 octobre 2017

Kerguelen : la vie à Port-aux-français et les autres programmes scientifiques


La base de Port-aux-français est une base dite permanente. Cela signifie qu’elle est occupée toute l’année, même si l’ensemble du personnel est renouvelé d’une année sur l’autre. Parmi la cinquantaine d’hivernants, qui restent à Kerguelen pour une mission d’un an, se trouve à la fois des militaires et des civils. C’est grâce à eux à la fois que la base tourne et vit, est dirigée et entretenue, et aussi que les programmes scientifiques (IPEV, ou TAAF pour la Réserve Naturelle) de suivi de la faune et de la flore sont maintenus tout au long de l’année.
 
Le drapeau français et le drapeau des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) qui s’élèvent au centre de la base (Port-aux-français, Kerguelen 2015 ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges).
 
Les trois corps de l’armée sont représentés. L’armée de terre s’occupe du garage (entretien et réparation des véhicules) et du système « chaud-froid » (l’ensemble du circuit d’alimentation en eau des bâtiments de la base : eau potable, lave-linge, chauffage etc.). L’armée de l’air s’occupe des services de télécommunication (« BCR » = Bureau des Communications et Radio, que les équipes en déplacement en dehors de la base, en cabane, contactent tous les jours à 17h30 par radio pour prévenir que tout va bien et recevoir la météo du lendemain) et de la poste (la philatélie, ou timbrologie, étant très active dans les TAAF !), ainsi que de l’approvisionnement (« l’appro » : gestion des stocks et de la comptabilité de la « coop » et du matériel logistique). Enfin, les marins sont en charge de la centrale électrique de la base (ainsi que de l’entretien des équipements électriques des bâtiments), de l’ensemble de la sécurité sur site (tel le service de pompier) et de la flottille du port de Port-aux-français (notamment l’entretien et le pilotage du chaland, l’Aventure II).
 
Port-aux-français « PAF » (Kerguelen 2016, TAAF ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)
 
La base est ainsi autonome en eau et en électricité. En effet, une centrale électrique a été bâtie sur place pour fournir la base en énergie, et de puissance largement suffisante pour remplir sa tâche comme elle ne tourne a priori jamais à plein régime. De plus, un système de pompage des eaux prend sa source dans un étang situé au nord de la base et dont le niveau, entretenu par des sols très humides riches en eau et les précipitations annuelles (environ 700 mm d’eau/an), n’a jamais failli en plus de 60 ans de fonctionnement. L’eau récupérée est par la suite filtrée et purifiée en plusieurs étapes (ex. filtre à sable etc.), quotidiennement contrôlée puis stockée en quantité avant d’être redirigée dans le circuit d’eau souterrain de la base en fonction de la demande. Les eaux usées sont rejetées directement dans l’océan, d’où la nécessité d’utiliser des produits de douche et d’entretien (tels la lessive ou le shampoing) écologiques, biodégradables et respectueux de l’environnement. Les résidents annuels de Port-aux-français restent néanmoins dépendants du ravitaillement par le Marion Dufresne II, notamment en nourriture (le frais : produits laitiers, viande, poisson, légumes et fruits etc., étant stocké dans de grands frigo dans un hangar, ainsi que tous les produits secs, longue conservation, en boîte etc.) et en carburant (pour les tracteurs, voitures, chaland…).
Ces métiers sont complétés par des contractuels civils, souvent résidents de la Réunion, pour l’entretien des infrastructures. Chaque année, environ une douzaine « d’infra » (plombiers, peintres, électriciens…) s’occupent au besoin de la rénovation des bâtiments tels les résidences etc.
S’ajoute à cela deux médecins (un médecin généraliste, urgentiste ou issu de l’armée, associé à un médecin interne ou infirmier) qui s’occupe de l’hôpital de la base (consultations, soins, interventions etc.), une équipe aux cuisines (chef cuisinier, second de cuisine, boulanger-pâtissier et technicien de surface) – les repas sur base étant pris tous les jours en commun à heure fixe – ainsi qu’un chef de district. Le chef du district est le représentant direct du préfet des TAAF sur place, pendant un an il dirige l’ensemble de la base soit toute personne, permanente ou de passage, qui y réside.
 
L’entrée du restaurant, « Ti’Ker », adjacent aux cuisines, avec vue sur l’église Notre-Dame-des-Vents. A l’étage se situe la salle de loisir (avec le bar, « Totoche ») ainsi que la salle de musique (Port-aux-français, Kerguelen 2015 ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)
 
Port-aux-français est aussi équipée – en plus d’une dizaine de résidences, pouvant accueillir jusqu’à 120 personnes l’été, et d’un restaurant – de divers bâtiments de vie commune : une salle de loisir, une salle de musique, une salle de sport équipée, une salle de projection servant de salle de cinéma et une bibliothèque. Une petite église, Notre-Dame-des-Vents, perchée sur une colline à l’ouest de la base représente le lieu de culte le plus austral.
Port-aux-français est aussi un lieu unique et d’importance du fait de la présence d’une station météorologique (gérée par Météo France) qui enregistre toute les heures différents paramètres (précipitations, vitesse et direction du vent, températures maximale et minimale, insolation etc.) et effectue des lâchés de ballon quotidien pour faire des mesures atmosphériques, ainsi qu’une antenne du CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) pour le suivi et la surveillance des satellites en orbite.
 
Route menant aux bâtiments météo et CNES situés quelque peu à l’écart, à l’extérieur de la base (Port-aux-français, Kerguelen 2016 ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)
 
Les autres hivernants vont être de jeunes volontaires civils à l’aide technique (VCAT) engagé soit par les TAAF (pour la Réserve Naturelle), soit par l’IPEV (pour les programmes scientifiques soutenus).
La Réserve Naturelle engage 2 à 3 VCAT par an pour réaliser l’inventaire (dénombrement et cartographie) et le suivi démographique des oiseaux et mammifères marins, mais aussi la gestion des populations animales introduites (le renne, le lapin, le chat…) : évaluation de leur impact sur l’écosystème, protocole de régulation ; ainsi que l’inventaire de la flore et la lutte contre les espèces végétales invasives (le pissenlit, des graminées etc.). Pour plus d’informations : http://www.taaf.fr/-La-reserve-naturelle-nationale-des-Terres-australes-francaises-
L’Institut polaire français Paul-Emile Victor (IPEV) finance divers programmes pour engager annuellement des volontaires pour effectuer la récolte de données sur le terrain :
-          POPCHAT (n°279 « Assessing the anatomy of predator-prey relationships to manage reliably cat populations in the ecosystem of Kerguelen » ; Dominique Pontier, LBBE UCBL) s’intéresse à la dynamique des populations de chats domestiques retournés à l’état sauvage (on parle alors de chat féral ou chat haret) issus d’introductions volontaires dans les années 50, en étudiant leur génétique, leur répartition sur l’île ainsi que leur relation proie-prédateur avec le lapin ; cette étude sert notamment à la Réserve Naturelle pour la régulation des populations de chats sur certains sites dits sensibles, tels les aires de reproduction de certains oiseaux marins.
-          ORNITHOECO (n°109 “Seabirds and marine mammals as sentinels of global changes in the Southern Ocean” ; Henri Weimerskirch, Christophe Guinet, CEBC Chizé) étudie l’écologie alimentaire d’oiseaux et de mammifères marins, représentant des prédateurs dits supérieurs (ou superprédateurs, se trouvant en bout de chaîne alimentaire dans leur réseau trophique), par un suivi individuel à long terme, comme un indice des changements climatiques qui affectent les écosystèmes océaniques, ainsi que des impacts de la pêche, pour être en mesure de proposer des actions de conservation.
-          OISEAUX PLONGEURS (n°394 “Foraging Ecology and Energetic of Southern Diving Predators in Relation to Climatic Variability”; Charles-André Bost, CEBC Chizé) étudie les stratégies alimentaires et énergétiques des oiseaux marins qui plongent pour s’alimenter, suivant leurs déplacements dans les 3 dimensions de l’espace et leur relation avec leur environnement (habitat, colonie etc.). Ils servent ainsi d’indicateurs de la disponibilité en ressource alimentaire, et donc de l’état des écosystèmes marins, impactés par les changements globaux.
-          SUBANTECO (n°136 “Subantarctic biodiversity, effects of climate change and biological invasions on terrestrial biota”; David Renault, ECOBIO, Rennes) étudie la biodiversité des milieux subantarctiques (variations dans le temps et l’espace, pour anticiper son évolution) et notamment les mécanismes d’invasions biologiques des écosystèmes terrestres et les effets des conditions environnementales sur l’écologie d’espèces végétales et insectes.
Et aussi des techniciens géophysiciens et informaticiens pour suivre et enregistrer l’activité magnétique de la Terre. Pour ces diverses études, Port-aux-français comprend aussi des laboratoires scientifiques équipés (géophysique, biologie etc.)
Une équipe logistique de l’IPEV est aussi présente sur place pour accompagner les scientifiques des programmes soutenus dans leur mission de terrain. L’IPEV engage notamment chaque année pendant la campagne d’été un menuisier pour aider à la rénovation et l’entretien des diverses cabanes sur les sites d’étude.
 
Vue sur le port, avec le chaland (à gauche) et sur le laboratoire de biologie, le « Biomar » (à droite). Entre les deux, des éléphants de mer sont entrain de muer (Port-aux-français, Kerguelen 2015 ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)
 
Nous avons aussi rencontré sur place les équipes ETHOTAAF (n°354 « Behavioural ecology of subantarctic birds » ; Francesco Bonadonna, CEFE) qui étudie le comportement des oiseaux marins comme par exemple les facteurs influençant le choix du partenaire chez les pétrels, en se concentrant sur un sens négligé chez les oiseaux: l'odorat (il semblerait que certaines information de qualité soient transmises à travers l'odeur personnel des pétrels). Ou encore l’environnement acoustique et l’orientation des individus au sein d’une colonie de manchots royaux pour comprendre la dynamique de formation de ces colonies d’oiseaux marins et les mouvements des individus dans cet environnement considéré comme surpeuplé ; et SALMEVOL (n°1041 « Evolutionary ecology of salmonids colonization of the Kerguelen Island » ; Philippe Gaudin, INRA) qui étudie l’écologie évolutive des salmonidés (famille de poissons à nageoires rayonnées, comme le saumon ou la truite) et les conditions de succès de la colonisation des eaux de Kerguelen par la truite, introduite il y a 60 ans (et la seule qui ait colonisé un grand nombre de nouvelles rivières), en lien avec les changements globaux.
De nombreux autres programmes scientifiques existent, notamment dans le domaine des Sciences de la Terre et de l’Univers (ex. contrôle du niveau de la mer, étude géologique de la composition chimique des roches etc.).
Et ceci n’est qu’un petit échantillon de la grande richesse et diversité qu’offrent les Terres australes françaises (pour de plus amples information : http://www.institut-polaire.fr/ipev/soutien-a-la-science/les-programmes-soutenus/).

 
 


 
 
 
 

 
 

lundi 3 avril 2017

Le déroulement du terrain : le travail au quotidien


                A notre arrivée sur le site d’étude, nous devons en priorité nous installer, ce qui signifie : déballer notre équipement et en faire l’inventaire, mais aussi monter et mettre en marche la station météorologique fixe qui enregistrera la météo en continue (température de l’air, température du sol, vitesse et direction du vent, humidité relative de l’air, luminosité, pluviométrie) pendant toute la durée de notre étude (ce qui nous permettra par la suite d’analyser les variations météorologiques et de les mettre en relation avec nos autres observations).
                Une fois l’équipement prêt, nous pouvons commencer l’étude populationnelle. Cela consiste à faire des relevés de transects (ou de quadrats). Un transect est une ligne imaginaire fixe dans l’espace (de largeur et de longueur constante ; et de points de départ et d’arrivée connus) qui sert de repère pour observer la présence ou non d’un sujet dans cette aire. De même, un quadrat est une surface carrée (de longueur et de largeur gales) au lieu d’être linéaire. Pour notre étude, nous avons divisé notre site en 3 sortes d’habitat, basé sur le type de substrat du sol : la plage (rocheuse), l’herbe ou les boues (wallows en anglais). Nous avons défini deux transects, l’un sur l’herbe et l’autre sur la plage, et un quadrat contenant des zones de boues. Tous les jours, nous parcourons ces 2 transects et ce quadrat et nous notons dans un carnet les données suivantes : la date, l’heure, le numéro du transect ou du quadrat parcouru (ou le type d’habitat), les paramètres météo (température de l’air, température du sol, vitesse et sens du vent, humidité relative de l’air, luminosité, présence de pluie) le nombre d’éléphants de mer présents dans la zone, s’ils sont en agrégation (collés les uns aux autres), l’avancement de leur mue (s’ils sont en début, milieu ou fin de mue, en fonction de la surface d’ancienne fourrure qui a commencé  à tomber) ; et nous prenons des photos digitales et infra-rouge (pour mesurer la température de surface, soit la température cutanée, des éléphants de mer) de chaque groupe d’individus. Au cours de ces relevés, nous gardons autant que possible une distance de sécurité (ou de confort) d’environ 10 m minimum entre nous et les éléphants de mer pour ne pas les effrayer ou les déranger pendant la mue.

Travail d’observation et de comptage sur transect (Pointe Suzanne, Kerguelen ; ©Lucas Delalande, Henerges)

                En mettant ces données en relation et en observant leur évolution, nous pouvons connaître l’utilisation de l’habitat des éléphants de mer en fonction de leur stade de mue et de la météo (est-ce que les éléphants de mer sont davantage dans les boues, sur l’herbe ou sur la plage en début, milieu ou fin de mue ? Est-ce qu’ils sont davantage sur un type d’habitat quand il fait beau ou non ?...) mais aussi sur leur comportement d’agrégation (est-ce que les éléphants de mer sont davantage en agrégation lorsqu’ils sont en début, milieu ou fin de mue ? est-ce qu’ils s’agrègent davantage quand il fait beau ou pas beau ?). Toutes ces questions (et leur réponses, après analyse des données récoltées sur le terrain) ont leur importance comme nos hypothèses supposent que les éléphants de mer adaptent leur comportement en fonction de leur condition physiologique et des conditions environnementales pour économiser de l’énergie et, dans ce cas, diminuer leurs pertes thermiques (cf. la rubrique « le programme », billet « que signifie HEnergES ? »). Hors les échanges de chaleur, en gains ou en pertes, entre un organisme et son environnement dépendent notamment de la météo – soleil, vent, température… – et du type de substrat avec lequel il est en contact – air, eau, terre…

                Une autre partie de l’étude est un suivi individuel. Pour cela nous capturons des éléphants de mer lorsqu’ils sont en début de mue. Habituellement, pour capturer un éléphant de mer, il faut être trois : deux personnes tiennent une capuche et viennent la poser sur la tête de l’éléphant de mer pour lui cacher la vue (certains animaux sont plus calmes lorsqu’ils sont plongés dans le noir) et diminuer le risque de morsure. Puis ils vont venir se coucher sur l’animal, en faisant poids de leur corps sur son dos, pour le maintenir en place et tenter de l’empêcher de bouger. Pendant ce temps, une troisième personne va injecter l’anesthésique, qui va endormir l’éléphant de mer, directement en intraveineux, pour une action quasiment instantanée. Une fois l’éléphant de mer endormi, on peut lui retirer sa capuche et commencer nos mesures. Cette année nous avons néanmoins utilisé une technique différente : l’éléphant de mer recevait une dose d’anesthésique en intramusculaire, à distance, au moyen d’une sarbacane, ce qui lui permettait de s’endormir sans qu’on n’ait à l’approcher, d’où une diminution du stress de la capture et de la manipulation de l’animal.


Le transport du matériel nécessaire à la capture sur le terrain (Pointe Suzanne, Kerguelen, 2016 ; ©William Paterson, Henerges)

                Une fois endormi, nous pesons l’éléphant de mer en le plaçant dans un filet et en le soulevant à l’aide d’un palan fixé à un trépied et muni d’un peson. Puis nous le mesurons avec des mètres rubans : longueur du bout du nez à la queue, et circonférences au niveau des nageoires, du nombril et du bassin. Ces mesures morphologiques nous permettent d’estimer l’état de corpulence de l’animal, par exemple en calculant son indice de masse corporelle à partir de la masse et de la longueur du corps. Puis nous réalisons de nombreuses autres mesures physiologiques :
-          une prise de sang nous permettra plus tard de doser des hormones plasmatiques qui interviennent dans les mécanismes de la mue et du jeûne (cortisol, hormones thyroïdiennes...) ;
-          une mesure de l’épaisseur du gras sous-cutané à l’aide d’un échographe nous permet d’estimer son état d’engraissement (soit les réserves énergétiques dont l’animal dispose) ;
-          des mesures de flux de chaleur échangés entre l’éléphant de mer et son environnement (au contact de l’air et du sol) pour calculer les pertes thermiques ;
-          des mesures de bio-impédancemétrie (en faisant circuler un courant de haute fréquence, mais de faible intensité, entre deux électrodes placées aux extrémités du corps de l’animal ; pour obtenir la résistance des tissus biologiques) nous permettent de calculer la composition en eau, en graisses et en muscles de l’animal.
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Technique de pesée de l’éléphant de mer adulte femelle (Henerges, Pointe Suzanne ; ©Yann Rantier, Janv 2015)

Mesures morphologiques : ici, les différentes circonférences (Henerges, Pointe Suzanne ; ©Yann Rantier, Janv 2015)

Mesures de l’épaisseur du gras sous-cutané par échographie (Pointe Suzanne, Kerguelen ; ©Henerges, 2015)

                Puis nous équipons l’éléphant de mer d’appareils de suivi et de mesure : nous collons sur la peau qui a déjà mué, au moyen d’une colle bi-composante, des émetteurs radio haute fréquence (VHF) qui nous permettent de localiser par la suite l’éléphant de mer sur plusieurs kilomètres de distances ; mais aussi des enregistreurs de température, de luminosité, de pression et/ou de mouvements. Une bague numérotée fixée à la nageoire caudale nous permet d’identifier les différents éléphants de mer capturés. De plus, lors des campagnes de terrain de 2015 et 2016, pour la première, nous avons implantés des éléphants de mer avec des électrocardiogrammes qui, placés sous la peau, enregistrent les battements cardiaques. Ensuite nous relâchons les éléphants de mer et nous les suivons au quotidien pour observer leur comportement au cours de la mue (à quelle vitesse muent-ils ? Sont-ils en groupe ou isolés ? Sur quel type d’habitat ? etc). Quand ils ont fini de muer (qu’ils ont perdu tous leurs anciens poils et que les nouveaux ont commencé à pousser) nous les recapturons en suivant la même méthode. Nous prenons de nouveau les différentes mesures morphologiques et physiologiques, puis nous récupérons le matériel de suivi et de mesures (qui a sauvegardé toutes les données enregistrées : variations de température, déplacements, fréquence cardiaque etc.) avant de les relâcher pour qu’ils repartent en mer. Ceci nous permet d’obtenir différentes valeurs comme : la perte de masse pendant la mue ou la variation en composition corporelle, qui sont des indices du coût énergétique de la mue ; et de faire des comparaisons entre individus (est-ce que les individus qui se déplacent plus se dépensent plus ? Les individus qui se sont plus souvent mis en agrégation ont-ils mué plus vite ?...). Ces analyses nous permettent de mettre en évidence des stratégies de comportement individuelles et leurs conséquences.

Eléphant de mer adulte femelle en mue équipée d’un émetteur VHF et d’un GPS collés sur la tête (Pointe Suzanne, Kerguelen ; ©Henerges)

Recherche quotidienne des éléphants de mer équipés par récepteur VHF (Pointe Suzanne, Kerguelen ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges 2015)

Le site d’étude : la vie à Pointe Suzanne


                Le refuge de Pointe Suzanne haut sert actuellement principalement d’abris lors des transits (ou de couchage supplémentaire en cas de surpopulation sur le site de Pointe Suzanne bas) et de stockage de vivres et de matériel acheminés depuis la base par tracteur. Il s’agit d’un module composé d’un sas d’entrée et d’une salle de vie équipée d’une cuisine et donnant sur une chambre contenant deux lits superposés (soit quatre couchages). Le sas est séparé de la cuisine et de l’extérieur par deux portes étanches qui empêchent l’entrée de rongeurs indésirables.
                Sauf précision, en parlant de « Pointe Suzanne » nous penserons dorénavant à Pointe Suzanne bas. Pointe Suzanne est un site remarquable de Kerguelen de par sa beauté et sa grande biodiversité, sans compter sa facilité d’accès et sa proximité avec la base. En effet, certains autres sites d’étude connus et appréciés de Kerguelen ne présentent qu’un ou deux types d’espèces à observer et à étudier en particulier (comme la colonie de manchots royaux du Cap Ratmanoff ou les albatros du site de Sourcil Noir, qui n’en demeurent pas moins magnifiques). Tandis que Pointe Suzanne n’est pas seulement un site privilégié pour la mue des éléphants de mer mais aussi pour la reproduction des otaries à fourrure. On y trouve de plus le fameux chou de Kerguelen, plusieurs nids de grand albatros et d’albatros fuligineux, une colonie de manchots papous et de cormorans. Sans compter quelques manchots royaux, gorfous sauteurs ou otaries d’Amsterdam qui viennent régulièrement se reposer sur ses plages.

Le pissenlit est une espèce invasive à Kerguelen, qui se répand facilement sur toute l’île grâce au vent, et dont le jaune des fleurs remplace petit à petit le rose de l’Acéna (Aceana adscendens) qui est, elle, une plante endémique (Pointe Suzanne ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)


Paysages de Pointe Suzanne : plages volcaniques basaltiques abritant entre autre des colonies d’otaries à fourrure et de manchots papous (Kerguelen ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)


Différentes espèces cohabitant à Pointe Suzanne (éléphants de mer en mue, otaries, manchots papous ou manchots royaux), contribuant à la richesse et à la diversité biologique de ce site (Kerguelen ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)

                Pour ce qui est de la vie à Pointe Suzannela cabane est l’une des plus « rustiques » que l’on peut trouver à Kerguelen comparé aux nombreux programmes scientifiques qui l’utilisent (les modules qui la composent étaient d’ailleurs au départ seulement temporaires mais ont été maintenus et entretenus par la suite dû à la grande demande des scientifiques). Une des particularités du site est qu’il n’y a pas de point d’eau douce à proximité. Ainsi, toute l’eau destinée à la consommation (cuisine et boisson) provient de bouteilles ou containers déposés à l’avance par hélicoptère. En conséquence, le mot d’ordre est que nous sommes en restriction d’eau, ce qui signifie : pas de douche ! Depuis 2015 néanmoins, cette restriction a pu devenir moins stricte après l’installation d’un système de récupération d’eau de pluie qui permet de renouveler plus facilement les réserves d’eau potable (qui doit être filtrée avant utilisation tant que celle-ci n’est pas contaminée par le sel des embruns marins).

Citerne de récupération de l’eau de pluie à droite, avec les touques de tri des déchets recyclables, et panneau solaire à gauche (Pointe Suzanne, Kerguelen ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)

                La cabane est formée de 4 modules (ou cabanons) en bois reliés entre eux par une terrasse de planches. Il nous faut donc sortir et passer par l’extérieur pour passer d’une pièce à l’autre. La cabane est pourvue ainsi d’une cuisine, d’un atelier (servant à la préparation du matériel et le stockage des échantillons) et de deux chambres de 2 et 3 places.


La cabane de Pointe Suzanne bas est flanquée de deux caisses en bois retournées, déposées autrefois par hélicoptère : l’une sert à stocker les réserves d’eau en bouteille à droite, et l’autre sert d’abri aux toilettes sèches installées à gauche (Kerguelen ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)

L’un des modules de la cabane servant de chambre à coucher, contenant 2 lits superposés (Pointe Suzanne, Kerguelen ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)
         
       La qualité et la diversité de la nourriture, ainsi que les instants de convivialité autour des repas, sont très importantes voire essentielles pour le moral sur le terrain ! Ainsi, nous ne manquons de rien : des réserves de nourriture pouvant se conserver longtemps au sec et à température ambiante (pâtes, riz, semoule, légumes en boîte, fromage sous vide, biscottes, céréales, cacao, lait en poudre, œuf en poudre, tablettes de chocolat, confiture, pâte à tartiner, sauces, crèmes dessert, épices, pâtés, plats lyophilisés, café, thé, soupes…) sont acheminées à l’avance par tracteur, et réapprovisionnées au besoin au long de l’année, puis placées dans des touques solidement attachées tout autour de la cabane. Pour cuisiner, nous disposons d’une gazinière équipée d’un four, qui constitue aussi l’une de nos seules sources de chauffage. Toute la nourriture « fraîche » (viande, poisson, fromage, fruits et légumes, œufs, beurre…) doit être commandée auprès des cuisines de la base (en fonction des réserves) avant notre départ et transportée avec nous à pied. Elle est ensuite conservée dans une touque placée dehors à l’ombre et servant de réfrigérateur naturel. Nous disposons aussi de réserves de farine et de levure pour pétrir quotidiennement notre propre pain. Il faut savoir être inventif et, avec les bons ingrédients, rien ne nous empêche de préparer un « haggis maison » pour la Burns Night (une fête écossaise), une galette des rois pour l’Epiphanie ou une soirée pizza !

Les touques contiennent les réserves de nourriture pour toute l’année (Pointe Suzanne, Kergueken ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)


Le module cuisine équipée de la cabane (Pointe Suzanne, Kerguelen ; ©Laureline Chaise, MNHN, Henerges)

                Sur le terrain, nous sommes des intrus dans un milieu naturel et sauvage souhaitant le rester. Notre présence doit donc causer le minimum de perturbations, et si possible temporaires. C’est pourquoi par exemple nous trions nos déchets. Nous séparons le plastique, le verre, l’aluminium et le fer, mais aussi les déchets contaminés ou toxiques (résidus de colle, aiguilles sales etc.) qui seront rapatriés à la Réunion via le MD pour y être traités (ce qui a un coût non négligeable !). Le reste (papier, carton…) sera incinéré sur place.
                La cabane est équipée en électricité via un panneau solaire lors des jours de beau temps, qui peut être relayé par un générateur électrique fonctionnant à l’essence la nuit.
                C’est bien beau tout cela vous allez me dire… Bon OK, il n’y a pas de salle de bain toute équipée… mais qu’en est-il des toilettes ? Et bien elles se trouvent tout autour de vous, en plein air ! Quel plaisir de vous frayer un chemin jusqu’à la plage parmi un groupe d’otaries belliqueuses lors d’un moment d’urgence, ou de vous faire accepter entre quelques éléphants de mer ronflant dans un instant de méditation (après avoir prévenu vos collègues que vous alliez « faire un tour »)… certes un peu venteux et humide lors des jours de pluie, mais quelle vue sur la mer ! En 2015, des toilettes sèches ont été installées dans une caisse en bois retournée pour plus de confort (toujours au grand air – pour la vue ! – mais protégées de la pluie et du vent) pourvues d’un sceau à vider dans la mer et rempli d’herbe en guise de sciure ; et le papier toilette est toujours à traiter avec les déchets incinérables (on ne jette rien de non biodégradable à la mer pour ne pas polluer !).